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Trois ans de camp pour Eugène, le petit nomade (Témoignages)

Article paru le samedi 12 avril 2008 dans Ouest-France - Edition Pays de la Loire.
Carte d'identité politique d4Eugène fauveau
Il est considéré comme « interné politique », mais c'est sa condition d'enfant
de gens du voyage qui valut à Eugène Fauveau de passer trois ans derrière
les barbelés. Voici sa carte délivrée par le ministère des Anciens combattants.


Âgé maintenant de 74 ans, il retournera dimanche à Moisdon, là où il fut interné pendant la Seconde Guerre mondiale, comme des centaines d'autres gitans français. Leur mémoire sera évoquée.

« Interné politique ». La mention figure sur la carte délivrée par le ministère des Anciens combattants. Eugène Fauveau a passé trois ans derrière les barbelés pendant la Seconde Guerre mondiale. « Interné politique, ça m'a toujours choqué. Je n'ai jamais fait de politique et, à l'époque, je n'étais qu'un gamin. Mais il fallait bien trouver quelque chose... »

Au début de la guerre, les parents d'Eugène sont marchands ambulants, des voyageurs, « des gitans français ». Les pouvoirs publics français décrètent le regroupement puis l'internement des nomades. « On est venu nous chercher dans une petite maison des Deux-Sèvres... balancés par un bon Français. » La famille Fauveau passe en Loire-Atlantique par le camp de Choisel, à Châteaubriant (celui de Guy Môquet), puis atterrit à Moisdon-la-Rivière, dans un camp humide et sinistre installé sur le site d'anciennes forges.

Transféré au camp de Montreuil-Bellay

En 1942, l'armée allemande ferme le camp, insalubre et trop proche de la zone côtière. « Je ne voulais pas monter dans leurs p... de wagons. Les gendarmes m'ont fait grimper à coups de pieds dans les fesses. » Eugène, 8 ans, est transféré au camp de Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire, où sont regroupés les nomades de l'Ouest.

« J'y repense chaque jour, confie-t-il. L'appel pour aller chercher la gamelle de soupe. Les avions qui nous tiraient dessus. Les miradors, les fils barbelés sous lesquels je me glissais pour récupérer les épluchures que jetaient les cuisiniers du camp. Quand les gardes s'en sont aperçus, ils ont mis du chlore dessus... Je revois le cachot dans lequel j'ai rejoint mon père. Il s'était évadé puis était revenu pour nous chercher. Il a coupé les fils barbelés et nous avons gagné la Vendée à pied. »

Eugène Fauveau, 74 ans, est devenu « le vieux ». C'est ainsi qu'on l'appelle au camp de Doulon, à Nantes, où il vit depuis de nombreuses années. Sédentarisé, il a jeté le carnet nomade à faire viser dans les gendarmeries, « un mauvais souvenir ». Il n'est jamais retourné à Montreuil-Bellay : « Là, je bloque. » Le temps a estompé Choisel et Moisdon.

Alors, dimanche matin, Christophe Sauvé, aumônier et vice-président de l'association des gens du voyage catholique, viendra le chercher pour l'emmener aux cérémonies officielles de Moisdon-la-Rivière. Pour la première fois, en présence de l'évêque de Nantes, et du maire, seront associés dans le même hommage les fusillés de Châteaubriant, les nomades et les réfugiés espagnols qui les précédèrent dans ces camps.

« On ne demande pas des fleurs, dit Eugène Fauveau, simplement qu'on parle de nous. » Qu'on n'oublie pas le sort des nomades dont beaucoup ne retrouvèrent la liberté qu'en 1946.

Marc LE DUC.