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Et maintenant - La nouvelle bataille de la mémoire
Guerre d’Espagne : la nouvelle bataille de la mémoire

Il y a soixante-dix ans, avec le début de la Retirada, prenait fin la guerre civile. L’Axe fasciste et les politiques de non-intervention des démocraties occidentales assurèrent la victoire de Franco sur la république et l’installation d’un régime dictatorial durable et sans pitié.
Dans les premiers jours de février 1939 se déroula l’un des épisodes les plus noirs du XXe siècle : la fin chaotique de la guerre d’Espagne et la Retirada. Franco avait lancé l’attaque finale contre la Catalogne le 23 décembre 1938. L’étau n’avait cessé de se resserrer. La zone centre-sud (Madrid, Valence, Alicante) restait sous contrôle républicain. Épuisée, Barcelone tombe le 26 janvier 1939. Alors commence la Retirada, l’exode massif, et une répression impitoyable (10 000 assassinats) s’abat sur la capitale catalane. Le 5 février 1939, démissionnaire et démoralisé, le président Manuel Azaña s’exile en France. Comme le montre sa biographie[1], il ne croyait plus depuis longtemps à l’utilité de la résistance et s’opposa à la stratégie de non-renoncement de Juan Negrin et des communistes. Il meurt en exil à Montauban le 3 novembre 1940. Le gouvernement français avait depuis des mois lâché "les rouges", livrant la République aux forces ennemies.


La Retirada

Le 3 février 1939, le sénateur Léon Bérard (proche de Laval et de Pétain) se rendit à Burgos pour pactiser avec les factieux et préparer les accords Jordana-Bérard (25 février 1939) : remise aux franquistes de la partie de l’or de la République déposé à Mont-de-Marsan (or qui fut refusé en 1938 au gouvernement républicain) et du matériel militaire soviétique bloqué à la frontière. La pusillanimité des autorités françaises sur la question espagnole explique leurs tergiversations face au flot d’exilés, près de 500 000 en quelques jours, l’un des exils politiques et militaires les plus massifs et brefs du XXe siècle. Le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, menaça même au Perthus de "renvoyer en Espagne les valides" ; un dispositif musclé et méprisant de filtrage frontalier accueille civils, blessés, combattants… Le gouvernement radical du président Daladier ouvre des camps appelés "de concentration" à même les plages de la Catalogne et du Roussillon. Maltraités, humiliés, les "rouges" sont parqués dans l’insalubrité et la précarité le plus total, entourés de barbelés et surveillés avec brutalité par des spahis et des tirailleurs sénégalais, qui rappellent aux Espagnols les « Maures » de Franco, des gardes mobiles, des gendarmes… Selon la charte de Nuremberg de 1945 (art. 6C), "le déplacement contraint de populations civiles" peut être assimilé à un crime contre l’humanité.
Au plan international, alors que l’axe fasciste contribua décisivement à la victoire de Franco, la "non-intervention" des puissances démocratiques fut en réalité très interventionniste : un "crime", dira le président Azaña ; il confiera à Jean Cassou : "Ce qui est en jeu ici, c’est aussi votre destin"[2]. L’historienne Annie Lacroix-Riz[3] montre combien et comment la France, ses élites économiques et politiques, ses militaires, sa cagoule, sa banque sacrifièrent la République espagnole. La plupart des travaux historiques récents prouvent l’hostilité occidentale, et surtout britannique, pour des raisons de classe, à la République espagnole. Le gouvernement Chamberlain et sa City jouèrent la carte Franco par intérêt géo-économique et anticommunisme. Derrière la politique "d’apaisement" se cache la peur du communisme (un danger inexistant en Espagne et auquel personne ne croyait), instrumentalisé pour isoler Madrid et consolider Franco.
De retour à la présidence du Conseil en avril 1938, Daladier met en place des dispositifs d’exclusion par rapport aux étrangers et aux « indésirables ». Bonnet, patron du Quai d’Orsay, écrit dans une dépêche que la France "accueillerait avec plaisir tout régime d’ordre[4] en Espagne", et ce malgré les appels permanents à l’aide du chef du gouvernement républicain Juan Negrin[5]. Une biographie récente[6] démonte la légende noire d’un Negrin inféodé à Staline et explicite le rôle éminent de ce social-démocrate dans la lutte contre les fascistes. Il était convaincu que le conflit mondial allait éclater à l’été 1939. En novembre 1938, il demanda une aide plus massive à l’URSS et l’obtint très rapidement[7]. Angel Viñas, par un remarquable travail d’archives, établit que l’URSS fut bien "le pilier extérieur fondamental de la résistance espagnole"[8]. Cette aide fut cependant assombrie par les exactions des agents du NKVD.


La Junte de Casado

La guerre se termina par un coup d’État (le 5 mars 1939) de responsables politiques et militaires socialistes et anarchistes (Casado, Besteiro, Cipriano Mera…) et la mise en place d’une Junte nationale de défense, contre le gouvernement Negrin. Le 6 mars commencent les arrestations de communistes ; beaucoup, emprisonnés, seront fusillés par Franco lorsqu’il entrera dans la capitale (27 mars 1939). Les putschistes pensaient que "s’ils sauvaient l’Espagne du communisme, Franco accepterait une "paix négociée" et qu’il les traiterait avec une plus grande bienveillance"[9], mais ce dernier exigea la "reddition immédiate, totale et inconditionnelle"[10]. La trahison précipita l’effondrement républicain et rendit quasi impossible l’évacuation des militaires et des civils pris au piège dans la zone centre-sud. Contrairement au mythe de la propagande franquiste quant à "la neutralité" de l’Espagne, le dictateur s’aligna aux côtés de l’axe et crut jusqu’au dernier moment à la victoire d’Hitler. Franco savait que le futur de son régime dépendait des Alliés… qui s’arrêtèrent aux Pyrénées.
Le 1er avril 1939, le général Franco avait proclamé : "La guerre a pris fin", "l’Armée rouge est prisonnière et désarmée". Le pape salua la "victoire catholique" des franquistes. Elle fit basculer le rapport des forces international en faveur de l’axe. Hitler poursuivait en Espagne une stratégie militaro-politique d’expansionnisme, d’affaiblissement des démocraties, d’isolement de l’URSS et de domination du monde. En s’opposant à Hitler, Franco et Mussolini, les républicains espagnols et les brigadistes avaient conscience de la nature de l’enjeu principal : démocratie, fascisme ; asservissement, émancipation. Ils mettaient en œuvre des valeurs de république universelle et sociale, de solidarité internationale des exploités.
Franco, quant à lui, poursuivait des objectifs politiques à long terme d’anéantissement des républicains. Après le soulèvement militaire, prit le relais une entreprise d’extermination.
Jusqu’à sa mort, le 20 novembre 1975, Franco gouverna d’une main de fer, au nom des vainqueurs, contre les vaincus, comme le chef d’une armée d’occupation ; il appliqua les schémas du soulèvement militaire : la "croisade" contre le marxisme, les infidèles, "l’anti-Espagne". L’oligarchie financière et économique, la banque, l’Église, l’armée portèrent le régime dictatorial jusqu’au bout.


De nouveaux combats aujourd’hui

Cette nature terroriste du franquisme, le juge Garzon vient de l’entériner dans son ordonnance du 16 octobre 2008 ; il se déclare "compétent" pour instruire les crimes de masse du fascisme espagnol. Pour ce juge emblématique, la responsabilité des uns dans la tragédie est sans commune mesure avec celle des autres, contrairement au révisionniste "renvoi dos à dos". Garzon évoque "un plan préconçu de terreur", un "programme systématique d’extermination"[11]. Son ordonnance stipule que "l’insurrection armée fut une décision parfaitement planifiée, destinée à anéantir la forme de gouvernement de l’Espagne"[12]. Les plus de 130 000 disparus républicains relèvent de "crimes contre l’humanité" ; de même que les quelque 30 000 enfants (orphelins ou pas) volés par le franquisme à leurs familles républicaines et donnés en adoption à des proches du régime, ou enfermés et "rééduqués" dans les "centres sociaux" de l’Église et de la Phalange[13]. Le positionnement courageux du juge lui attira les foudres de l’appareil judiciaire, instrumentalisé par les forces politiques du "consensus" (Parti populaire, Parti socialiste ouvrier espagnol). Le juge dut s’auto-dessaisir le 18 novembre, avant que de l’être par ses pairs. Les héritiers du franquisme : l’Église, le Parti populaire… transformèrent leurs attaques en lynchage médiatique. Le très réactionnaire président de la Conférence épiscopale, Mgr Rouco, accusa Garzon de "rouvrir de vieilles blessures". Sempiternelle antienne. Les néofranquistes s’accommodent mal de la vérité historique et d’un mouvement de "récupération de la mémoire républicaine espagnole", qui ne cesse de s’amplifier depuis dix ans. Soixante-dix ans après, la guerre d’Espagne exerce une fascination toujours renouvelée et structure la vie politique dans ses affrontements. Le matraquage idéologique des quarante ans de dictature pèse encore beaucoup, bien au-delà du poids politique de la droite. Ses cendres sont avivées en permanence par les dirigeants de la droite et la hiérarchie de l’Église.
L’histoire de la guerre civile est l’objet depuis vingt ans d’un fort courant révisionniste face au renouvellement des approches suscité par la pertinence des recherches historiques et le travail mémoriel, mais il sera difficile d’arrêter l’exigence de justice et de vérité. Les républicains ont perdu la guerre : ils sont en train de gagner la bataille de la mémoire et de l’histoire.

Notes :
[1] Vida y tiempo de Manuel Azaña, 1880-1940, de Santos Julia. Madrid. Éditions Taurus, 2008.
[2] Vida y tiempo de Manuel Azaña, 1880-1940, de Santos Julia. Madrid. Éditions Taurus, 2008.
[3] De Munich à Vichy, d’Annie Lacroix-Riz. Paris. Éditions Armand Colin, 2008.
[4] Dépêche A 32 36 Welczeck, Paris, 10 avril 1938 DGFD, D, II, p. 548.
[5] El honor de la Republica, Angel Viña. Barcelone. Éditions Critica, 2009, p. 449.
[6] Juan Negrin, medico, socialista y jefe del gobierno de la IIa Republica espanola, de Gabriel Jackson. Barcelone. Éditions Critica, 2008.
[7] El honor de la Republica, Angel Viña. Barcelone. Éditions Critica, 2009, p. 449.
[8] El honor de la Republica, Angel Viña. Barcelone. Éditions Critica, 2009, p. 449.
[9] La Guerre civile espagnole, de Paul Preston. Madrid. Éditions Debate, 2006, p. 303.
[10] Por que perdimos la guerra, de Carlos Rojas. Barcelone. Éditions Planeta, 2006, p. 22.
[11] El Pais, Madrid, 17 octobre 2008.
[12] El Pais, Madrid, 17 octobre 2008.
[13] Benjamin Prado dans El Pais, Madrid, 16 janvier 2009.

Jean Ortiz maître de conférences, université de Pau


ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine,
est édité par l'association : "Les Amis de ReSPUBLICA"
n°610 - vendredi 6 mars 2009

Date de création : 11/04/2009 @ 18:44
Dernière modification : 11/04/2009 @ 19:47
Catégorie : Et maintenant
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