|
Un peu d'Histoire - La grande Forge Saget
AU GRAND SIECLE LA GRANDE FORGE NEUVE DE SAGET
Les grandes forges régionales : Avec l'impulsion économique de Colbert* et les besoins de la guerre de Hollande, le Grand Condé met en valeur les forêts de sa baronnie de Châteaubriant en faisant construire des grandes forges par de riches bourgeois négociants et entrepreneurs. René Saget, marchand de Redon et maître de forge affermant la Hunaudière à Sion, sait trouver en 1668 les capitaux et un site exceptionnel, proche des forêts, des minerais et castine (fondant), pour concevoir une forge à Moisdon à 25 km de Nort sur Erdre, port desservant Nantes en pleine expansion coloniale. Le plan d'ensemble bien organisé en fera la plus importante et la plus moderne forge de la région, sinon du monde* : un site favorable à une très forte chaussée de retenue d'eau, relativement bien alimentée par le Don affluent de la Vilaine, actionnait 6 roues à AUGETS et 2 roues à AUBES développant chacune de 3 à 20 chevaux : 2 roues pour les soufflets du haut-fourneau double, 4 roues pour l'atelier d'affinerie (3 pour les soufflets des 3 foyers, 1 pour le marteau), et 2 roues à aubes allant de pair pour le train d'aplatissoir et taillants de la fenderie. Le nouvel étang de la Forge Neuve noie le vieux moulin seigneurial de la Rivière Péan. D'après les "comptes de la Poitevinière", la forge de Riaillé entre Ancenis et Châteaubriant fut équipée de son premier haut-fourneau ou d'une importante ferrière dès la fin du 15ème siècle*. Un siècle plus tard, sur cette baronnie du duc de Mercoeur, Jacques Belot bourgeois originaire du foyer protestant d'Alençon (Orne), prend le fermage de ce fourneau et d'une forge d'affinerie située à la Provostière ; le beau-fils de Belot fait construire en aval à La Vallée en 1639 une autre forge et une toute nouvelle machine à faire des baguettes de fer, une FENDERIE. Il afferme le nouveau haut-fourneau du Pas Chevreuil que les 3 associés Montullé, Paris et Belot viennent de construire à leurs frais, sur les terres de l'abbaye de Melleray, ils achètent terres et bois correspondants par contrat du 22 décembre 1637. D'après certaines cartes générales, documents succincts, d'autres fourneaux ou ferrières activées par soufflets auraient existés* à Vioreau (Joué) ou Beaumont (Issé), faisant suite à la Poitevinière, les 5 ou 6 grandes forges de la région ne sont dûment reconnues qu'au 17ème siècle... leur nombre n'augmentera qu'au 19ème siècle. La création de ces forges par des marchands/ investisseurs, sur des domaines forestiers seigneuriaux suffisamment vastes, fait surtout appel à des forgerons qualifiés de Normandie*, région plus avancée, plus active, dans le commerce et la production du fer. Comme ses devancières de la Poitevinière (Riaillé), du Pas Chevreuil (Joué), de la Hunaudière (Sion) ou de Pouancé (Maine et Loire), la Forge Neuve est une forge wallone, avec hauts-fourneaux et affineries au charbon de bois, qui produit de la fonte des objets moulés à la sortie des fourneaux et des fers battus en barreaux ou en applatis et verges après affinerie puis fenderie; quelques gros objets courants de martelages d'assortiments sont ouvrés sur place, galettoires, essieux, "pourpensés" pour socs (3 ou 4 feuilles à la barre)...*La production totale peut atteindre 4 t/jour. Les forges valorisent les forêts et les minerais de la région en utilisant l'énergie mécanique de chute d'eau pour actionner les soufflets de combustion et les marteaux de cinglage; les caractéristiques des forges nous sont connues en détail par les plans et les écrits du 18ème siècle, elles ne seront supplantées qu'au 19ème siècle par les forges "à l'anglaise" de fonte au coke (ici plus difficile à produire) dont la Jahotière (Abbaretz) sera le seul haut-fourneau de la région. Les forges de Bretagne sont évoquées par un film vidéo "Métal breton", aux Presses Universitaires de Rennes, tél : +33 (0)2 99 14 14 01, par l'association CREA, sous la direction du Professeur Alain Croix. Force Motrice des Marteaux et Soufflets : Les marteaux hydrauliques actionnés par cames calées sur l'arbre moteur d'une roue hydraulique, comme les soufflets de combustion, eux équipés souvent de réducteurs de vitesse, reprennent la conception des marteaux et soufflets à main, ceux que nous utilisons encore aujoud'hui; le marteau soulevé agit par son poids de 300 kg à 500 kg et sa hauteur de chute, un ressort de bois lançe l'impulsion tandis que les soufflets, de plus de 5 m de longueur*, sont appuyés par cames et relevés par contrepoids ou par le rappel de perches en flexion. Par contre la fenderie, nous le verrons, adopte une technique d'élaboration totalement originale pour valoriser une force motrice rotative. Dans notre région les roues d'entraînement des marteaux et soufflets sont toutes des roues à augets alimentés par le dessus, des roues plus aptes à valoriser un cours d'eau limité ; l'aspect des forges est ainsi caractérisé par une forte chaussée retenant un grand étang, l'eau est amenée au-dessus de chaque roue par un canal traversant la chaussée prolongé par un conduit de voliges dont le débit est ajusté par une vanne commandée par bringuebales depuis la forge. Les roues à augets, de 3 à 20 CV de puissance selon leurs dimensions et leurs vitesses de rotation, ont aussi l'avantage de tourner plus vite et sont facilement ralenties ou accélérées, de 10 à 40 t/mn*, par vannage de la chute d'eau, permettant ainsi d'ajuster le travail des soufflets (jusqu'à 10 coups/mn) et du marteau (jusqu'à 120 coups/mn), seul le marteau peut par moments dépasser 20 CV. "Il y auroit beaucoup à dire sur la comparaison à faire du travail de différens endroits, sur la meilleure maniere de disposer les usines & les machines qu'elles renferment, comparaison qui ne pourra se faire qu'après que l'on aura rassemblé des descriptions aussi exactes de la manière de travailler des différentes provinces, ce qui conduira naturellement aux meilleurs procédés & aux meilleures constructions des machines." (Encyclo. 1757 "Forges ou Art du Fer"). Les fourneaux : Chaque fourneau est un cube de pierre de schiste de 8 m de côté, la cuve interne de briques réfractaires, a une hauteur de 7 m et une largeur de 2 à 3 m, les 2 fourneaux accolés de Moisdon forment une seule masse d'un fourneau double à canon dont les faces sont évidées de 4 embrasures pour trous de soufflets et trous de coulées au bas des 2 cuves : ces embrasures sont soutenues par des barres de fontes, les tympes ou marâtres. Les chemises internes des cuves, circulaires autour d'un axe vertical, faites de briques réfractaires argileuses et siliceuses, "terre glaise blanche, mêlée d'un sable blanc, talqueux & un peu ferrugineux"*, sont à refaire à chaque saison, le diamètre maximum est de 2 à 3 m au ventre, se rétrécissant vers le haut et vers le bas. D'après les dessins levés pour la "Description...de l'ancienne Armorique" de de Robien (1735), la section horizontale des cuves fut, au début, carrée. Le creuset où s'écoule la fonte, dont la hauteur dépasse 1 mètre, de section carrée (0,5x0,5 m) peut contenir plus d'une tonne de fonte, mais une coulée de moins de 12 heures ne donne que 400 à 500 kg de fonte. La masse s'aligne au bord du canal de fuite d'eau motrice des 2 paires de soufflets mus par l'intermédiaire d'engrenages réducteurs de vitesse. Les soufflets construits sur le modèle de ceux que nous utilisons encore aujourd'hui pour nos foyers domestiques, en beaucoup plus grands (5 m de long sans la buse), connaissent une amélioration définitive à Moisdon par l'invention du maître souffletier Seigne ; son invention, importée de Suisse, est un soufflet de forge tout en bois comme il est décrit dans l'Encyclo. A la fin du 18ème siècle (1770*) les anglais utilisent des pompes à air à pistons et cylindres en bois de section carrée puis cylindrique en fonte, plus efficaces et mieux adaptées aux machine alternatives à vapeur. Ces pompes à air ne se répandront en France que partiellement au 19ème siècle. Une halle de coulée, en appentis sur les fourneaux protège les soufflets et permet la coulée d'une gueuse de 400 à 1100 kg environ par fourneau; un sillon dans le sable au sol, d'une longueur de 4 à 6 m reçoit cette coulée. Des objets sont aussi moulés directement à la base du fourneau : marmites, chaudières, plaques foyères, foyers, grilles, boulets... La fonte de Moisdon, comme celle de Bretagne et Normandie, facile à moulée, est trop cassante pour les canons où coûte trop cher "pour être tirée à gris", cependant la disposition du fourneau double permet en une coulée simultanée de mouler un canon de plus de 3 tonnes. La forge, les foyers d'affineries : La fonte, "fer gâté" produit par les fourneaux, doit être affinée en fer forgeable, la fonte perd un tiers de son poids lors de son élaboration en fer. Une gueuse longue de 4 à 6 m est refondue par son extrémité dans un foyer d'affinerie activé par soufflets. Les gouttes de fonte s'écoulent dans un creuset, la renardière, puis sont agitées pour oxydation à l'air, une partie d'impureté surnage en laitier et l'excès de carbone, silicium, soufre et phosphore se trouve brûlé, la recherche d'une épuration maximum, notamment l'élimination du soufre et du phosphore, entraine l'élimination totale des 3 à 3,5 % de carbone contenu dans la fonte. La retenue de 0,1 à 0,6 % de carbone aurait permis la production d'acier, moins ductile mais plus résistant et apte à la trempe indispensable au tranchant des armes ou outils et à l'élasticité des ressorts : "L'acier naturel est donc, comme j'avois promis de le démontrer, un état moyen entre le fer de fonte & le fer forgé : l'acier est donc, s'il est permis de s'exprimer ainsi, sur le passage de l'un à l'autre."* (Encyclo). Au 18ème siècle, Réaumur, comme l'encyclopédie ne connait pas encore la composition de l'acier, le carbone, mot inconnu, est pressenti dans la théorie erronée du "phlogistique" : "Le phlogistique ou feu fixe entre nécessairement comme partie constituante dans tous les corps composés ; il se trouve sur-tout en abondance dans le soufre, les huiles, les charbons & autres matieres combustibles : ce sont aussi celles qu'on emploie le plus communément pour réduire les métaux." (De Morveau Encyclo.). Cet acier recherché provient alors surtout de la méthode dite allemande "veines d'acier...de Stirie, Carinthie, Tirol, Alsace, & de quelques autres lieux..."* ou de la cémentation évoquée plus loin, les secrets du travail de l'acier sont jalousement gardés. En 1786, les 3 savants, Berthollet, Monge et Vandermonde, définiront le rôle du carbone dans l'alliage Fer-Fonte-Acier. Le fer recueilli dans le foyer d'affinerie est additioné de scories oxydantes et de battitures (parcelles de fer oxydé se formant à la surface du fer forgé), l'affineur avec son ringard reconnaît au toucher l'état de la matière. Le fer aggloméré sous forme de loupe ou renard pâteux, est conduit sous le gros marteau pour en exprimer le laitier et façonner une barre de fer marchand de 2 à 4 m pesant 20 à 40 kg. Le marteau de forge : Le sieur de Guignebourg écrit en 1774 : "Le principal agent d'une forge est le gros marteau qui pèse pour l'ordinaire 800 à un milliers, [de livres soit 450 kg...] mais le travail continuel d'un aussi gros agent causent souvent des cassures dont la réparation coûte tous les ans beaucoup de journées...; on a réussi dans quelques forges à travailler avec des marteaux de fonte,..."* les marteaux et enclumes de bonne fonte doivent se généraliser rapidement pour remplacer les marteaux de fer. L'arrière grand-père du maréchal Lyautey, élève de l'école d'artillerie en 1808, fait cette observation : "C'était la pièce la plus spectaculaire de toute la Forge tant par son mouvement que par son bruit..."*. Le marteau, appelé encore martinet pour l'ensemble ou pour désigner un marteau plus léger, agit parallèlement à l'arbre de la roue, soulevé par les cames il retombe lourdement, le ressort d'impulsion est en hêtre ou frêne. Au 18ème siècle, un maître de forge du Périgord précise : "Il y a des manches qui ne résistent que douze ou quinze jours, d'autres de cinq à six mois..."*. "Le bois pouvait être de différentes espèces, résistantes et souples : frêne, hêtre, accacia, sorbier, noyer et parfois chêne."* (Corbion). La lourde et imposante charpente de maintien du martinet s'apelle l'ordon, les derniers marteaux de forge à soulèvement du 19ème siècle s'articuleront sur des bâtis de fonte. "Il faut que les cheminées soient fournies d'ouvriers & d'outils : pour une renardiere ou autre qui va sans relâche, il faut six ouvriers, le marteleur, trois chauffeurs, deux goujats ; à l'affinerie, le maître affineur & trois valets; le marteleur est chargé de l'équipage de sa renardiere ou chaufferie, de l'entretien des outils, & doit travailler à son tour avec un chauffeur ; deux ouvriers font ordinairement six, quelquefois huit renards par tournées ; la tournée finie, ils sont relevés par deux autres chauffeurs & un goujat, & ainsi de suite. L'affinerie va de même par tournée ; & le maître affineur est spécialement chargé de l'entretien de son ouvrage & des outils de son affinerie."* La production d'un foyer d'affinerie peut atteindre 1 tonne par jour, soit un maximum mensuel de 60 t pour une forge wallone régionale à deux foyers, mais les ralentissements et les pannes sont fréquents. Pour une forge active un troisième foyer de chaufferie est nécessaire au forgeage de la barre en plusieurs chaudes : pièce, encrenée, maquette, et enfin barre de fer marchand. En 1843 la forge wallone existe encore à Pouancé, un journal* en relate l'activité : "Ces gueuses [ce sont alors des barres de fer en finition] ont trois à quatre mètres de longueur, sur quinze centimètres de largeur. On les porte à la forge, où, devenues incandescentes, elles sont placées sur des enclumes que frappent des marteaux monstres. Le bruit qu'ils font s'entend à plusieurs kilomètres de distance. Ils sont mus par l'eau des étangs. Le fer ainsi forgé passe à la fenderie, autre usine où il passe à l'état marchand.[...] le bruit des marteaux se fit entrendre, bruit étrange qui n'a rien de celui du canon, rien de celui de l'orage, bruit sourd, tantôt lent, tantôt rapide, et qui serait effrayant dans un rêve. Ce fut un bien autre vacarme, losque nous entrâmes dans l'intérieur de la forge. Aux coups multipliés du marteau, ajoutez le sifflement des soufflets, le pétillement du feu et le murmure de l'eau qui tombe en nappes pesantes sur les roues, puis avec cela, quel aspect le soir ! De tous côtés du feu, des étincelles, des fourneaux..." Cette forge de Tressé est approvisionnée par les fourneaux de la Prévière (M&L) et la Roche en Chelun (I&V) distants de 2 km et 17 km, la fenderie en question se trouve 1 km de la forge en aval sur la Verzée. A Moisdon l'affinage de la production des fourneaux nécessite une deuxième forge d'affinerie sur le ruisseau de Gravotel, cette forge sera construite en 1725 par Marie Pavy , veuve de Jean Coignard fermier des Condé des terres de Thévalle (Maine) et de la Forge de Moisdon où sa femme Marie réside. Les Pavy* forment une lignée de Maîtres de Forges en Maine et Anjou. La forge de Gravotel reprend la disposition classique de la grande forge wallone à deux foyers d'affinerie, pour un marteau de forge avec un troisième foyer de chaufferie, la chaussée de retenue d'eau supporte la route royale de Nantes à Châteaubriant. La forge en ruine existe encore à Gravotel près de Moisdon. En 1732, les négociants de Nantes se réclament de leur commerce : "les fers des Forges de Bretagne, venus par l'Erdre (Moisdon, Martigné, La Provôtière) ne peuvent être suppléés ni par le prix, ni par la qualité, par aucuns fers étrangers que par les fers de Liège qui[...]viennent par la Hollande quand la sécheresse empêche les forges de Bretagne d'en fabriquer..."*. La fenderie : A partir du 17ème siècle* le fer produit est livré en barres, forgées au gros martinet hydraulique, d'un à deux centimètres d'épaisseur et plus de dix centimètres de large, longues de plusieurs mètres : pour certains usages ces barres, chauffées "à blanc", sur toute leur longueur, au bois flambant dans un FOUR A REVERBERE à tirage naturel, sont refendues* mécaniquement par une seule passe entre 2 cylindres annelés. Le principe du four à réverbère à bois est déjà utilisé pour la fusion du bronze en grande quantité lors de la coulée d'un canon ou d'une grosse cloche. Pour des barres de fer ce four permet de les rougir uniformément sans contact au feu : "Nous avons dit qu'ordinairement le four avoit huit piés [ 2,60 mètres] de profondeur : quand c'est pour passer des bandages qui demandent une grande longueur, on peut lui donner jusqu'à quatorze ou quinze piés [4,80 mètres]. Pour l'ordinaire, on casse le fer de six à sept piés de longueur pour l'enfourner [2 mètres] ; on en met jusqu'à un millier [440 kg], quand le fer est chauffé : il faut environ deux heures pour chauffer une fournée à blanc ; c'est le degré qu'il faut. Une corde de bois de saison de quatre piés de hauteur sur huit piés de couche, & le bois de trois piés & demi de longueur [3,8 stères], peut faire quatre fournées à bon vent". (Encyclo). La paire de cylindres annelés en tournant déchirent les barres en baguettes ou verges : la fenderie, sorte de laminoir fournissant aussi des aplatis ne fonctionne que quelques semaines par saison d'activité des fourneaux; cette machine-outil semi-automatique préfigure la productivité mécanique de produits semi-finis par des machines industrielles*, jusqu'à 15000 livres de fer par jour. Cette machine alors de faible puissance ne peut véritablement laminer les barres, aussi la paire de cylindres d'écrasement s'appelle APPLATISSOIRE ou espatard ; originaire elle aussi de Liège, vers 1580 et signalée pour la Provostière à Riaillé en 1639*, la fenderie s'adapte très bien au fer phosporeux aigre breton, lequel fer tendre se déchire aisément dans les taillants des rouleaux et donne une bonne rigidité aux clous forgés dans les verges tronçonnées. La fenderie aurait été introduite précocement en Bretagne par le liègeois Geoffroy de Finement, créateur de la forge des Salles en 1623* (D. Aupied) ; la Forge d'Avaugour (C. d'Armor) créée au même moment par un périgourdin, bénificiera de cette innovation. Un maître de forge normand en apprécie l'usage en 1774 : "On fend le fer encore en plusieurs autres espèces, selon les besoins des ouvriers qui l'emploient, comme elles ne sont pas plus coûteuses les unes que les autres, rien n'empêche que l'on satisfasse au goût et à la commodité de chacun."* Les ressources : Le maître de forge Huet fait une étude des forges pour le Prince de Condé en 1777 et renouvelle l'étude* en 1800 pour les statistiques du département de la Loire Inférieure : "La valeur des forges dépend de la quantité de bois et d'eau dont elles peuvent disposer [...] la forge de Moisdon est la seule qui jouisse d'un affouage considérable." Les besoins de la Forge Neuve dépasseront 6000 ha de forêts. Bois : Les ressources forestières de Condé se trouvent garanties par les forêts de l'Arche, Vioreau, la Foy, Pavée, Issé, Bouru, Domnèche, Juigné, Araize: 6000 ha à 8000 ha de bois* taillis, soit 200 à 400 ha par an pour une forge produisant 300 à 600 tonnes de fer*. Le bois est charbonné en forêt à la fin de l'hiver, sans trop de vent ni pluie, sur une aire préparée ou réutilisée : les bûches amassées debout autour d'une cheminée centrale faite de rondins sont empilées sur 3 étages pour faire une meule d'un diamètre de 6 m recouverte de terre herbue, la meule ainsi constituée peut contenir 50 stères de chêne ou châtaigner, parfois orme ou autres bois; la carbonisation à petit feu et son refroidissement avant livraison nécessite 15 à 18 jours de vigilance, de l'eau et de la terre sont approchées pour réparer la couverture et prévenir les incendies; la production fragile et dûment triée est transportée en sacs à dos de chevaux pour être emmagasinée dans les halles à charbon de la forge. Minerais : Les minerais sont également abondants et faciles à exploiter, ceux de Moisdon sont remplacer par les minerais d'Erbray à la Feuvrais et surtout d'Abbaretz où Meilleraye à 9 km : Rouillon, le Chêne Trouy, la Boulais... Les minerais désignent alors les lieux d'extraction de la mine concassée en "grelots ou rognons" de la grosseur d'un oeuf de pigeon*, lavée et triée sur place ou à proximité avant d'être entassée sur la chaussée de la forge. Castine : Le fondant calcaire de la Ridelais en Erbray située à 5 km, approvisionne toutes les forges environnantes. Eau : La production de cette grande forge ne se trouve limitée que par l'énergie hydraulique disponible. Les cours d'eau de la région, caractérisés par de fortes crues d'hiver et un très faible débit en été, conditionnent, de Juin à Novembre, un fonctionnement aléatoire plus ou moins restreint de la forge avec un arrêt total durant les 3 mois d'étiage, arrêt mis à profit pour l'entretien et les réparations. Par contre en hiver la forge peut tourner à plein régime, nuit et jour, les arrêts par gel étant exceptionnels. L'eau, quelle histoire ! "Il n'est pas nécessaire de dire qu'il ne faut pas entreprendre la construction d'une forge, si par le calcul fait d'avance, il est clair qu'on ne puisse pas ramasser assez d'eau, & à une telle hauteur ;"* (Encyclo.) Les plus importants bassins versants des forges régionales sont ceux de la Forge Neuve sur le Don (170 km²), de la Hunaudière à Sion sur la Chère (150km²) puis de Martigné sur le Semnon (I&V 80 km²). Un étang de réserve d'eau permet d'amortir les variations de débit et, la sécheresse survenant, le fonctionnement d'un haut-fourneau à la Forge Neuve est garanti pour 5 semaines*. Ces fortes retenues d'eau sont indispensables à l'élévation à plus de 3 mètres de la chute d'eau pour l'entrainement des roues "de dessus" à AUGETS, roues à "seaux" beaucoup plus efficaces dans ces conditions (>4) que les roues à aubes d'alors et plus aptes à la valorisation d'un cours d'eau limité. Les théoriciens éclairés de l'époque pouvaient en douter : "il n'est pas si clair que bien des gens se l'imaginent, que les roues à seaux, pour les forges, soient d'un meilleur service que celles à aubes ;"* Seule la fenderie est équipée d'une paire de grandes roues à aubes "par dessous" pour une rotation suffisamment forte, lente et régulière de l'aplatissoire et des taillants ; la fenderie, peu économe en eau, ne travaille que quelques semaines par an, son régime de production pouvant être 7 fois plus rapide que le régime de production d'un haut-fourneau*. La fenderie devenue indispensable à toute forge se trouve là incorporée rationellement à l'usine. Le Maître de Forge Clermontois Huet est étonné par cette façon de gérer les chutes d'eau en Bretagne : "Pendant la sécheresse d'été on est obligé d'arrêter les deux usines [affinerie et fenderie] pour maintenir le fondage et ne pas être obligé de mettre hors feu"*. En 1778, dans un Procès Verbal de Prieul et Leclerc, on fera encore remarquer qu'à Martigné : "il n'était pas rare d'être 4, 5 et jusqu'à 7 mois sans travailler faute d'eau"*. A la Forge Neuve de Moisdon la forge d'affinerie supplémentaire installée sur le ruisseau de Gravotel près de Moisdon permet avec son étang de retenue alimenté par un bassin versant de 40 km², de prolonger le fonctionnement d'un haut-fourneau avant l'étiage, la superficie totale du bassin disponible est ainsi de 210 km². Par comparaison, le fourneau de la Poitevinière ne dispose que d'un bassin versant de 32 km² : affinerie et fenderie sont établies à la Provostière en aval sur le même ruisseau du Jeanneau, chaque site est desservi par un étang de 75 hectares garantissant une grande réserve d'étiage avec une hauteur d'eau de 3 mètres "sur palle" et une bonne autonomie de mise en service des usines; on y ajoutera encore une autre forge d'affinerie et une fenderie, plus en aval, à la Vallée pour le fourneau du Pas Chevreuil. Cette disposition "en série", plus économique en eau, était le processus naturel de mise en place des premières usines à fer, processus mieux compris par Huet car la gestion de l'eau y est simplifiée "Le cours d'eau le meilleur est celui de la Provotière. Elle à trois étangs qui contiennent environ 102 arpents,..."* de plus il critique le déplacement de la fenderie de Chahun sous la chaussée de la Hunaudière à Sion, rapprochement fait lors de la modernisation de la forge en 1785 : "c'est une grande faute, de la part des nouveaux acquéreurs, de ne l'avoir pas rétablie sur l'emplacement de l'ancienne, qui, située au dessus de l'étang de la forge, rendait à la fabrication l'eau qu'elle dépensait pour son service."* Mais Jousselin, l'intendant des Condé en Bretagne, avait tout simplement approuvé le rapprochement de la fenderie qui facilite les transports et ne tourne qu'un mois et demi par an : "Les deux étangs de Chahain [...] leurs font des réserves pour les besoins de la forge depuis l'établissement de la nouvelle fenderie.", ces réserves peuvent être totalement utilisées à l'étiage pour le service du fourneau ou de l'affinerie. © Georges Vanderquand (2000) Date de création : 15/02/2009 @ 11:07 Réactions à cet article
|
|